Otobong Nkanga: That Night We Ate

Sur l’invitation du festival, l’artiste Otobong Nkanga, basée à Anvers, a composé une série de poèmes et de dessins, présentés en inédit dans la brochure. Dans son travail, elle utilise la sculpture, les installations, le dessin, la tapisserie et la poésie pour retracer et examiner les liens entre les relations et le travail dans notre environnement quotidien. Pour cette brochure, elle a réalisé huit compositions qui résonnent avec l’image de la table de la cuisine en tant que lieu où la nourriture, les voix, les affects, le travail et la convivialité se superposent, autant d’éléments qui sont au cœur de la Free School cette année. Il en résulte une nouvelle création artistique sous forme de rencontres sensorielles, où les rythmes des mots et des dessins se croisent et où la table devient un espace pour des formes de relations multiples.

Le recueil complet est à retrouver dans la brochure distribuée dans divers endroits à Bruxelles.

Les poèmes ont été écrits en anglais par Otobong Nkanga, la traduction en français par Diane Van Hauwaert est disponible ci-dessous.


La puissance
Le repas d’hier soir
Fermente dans mes entrailles
Avec des mots
Puissants comme la levure,
se fondant dans chaque organe
Pour former un filet mycélien


Ces mains
Donne-moi le couteau
Pour trancher ces racines
Récoltées de tes mains


Résidus
Chaque mot tombe
Glisse à travers
Les rouges courants de mes veines
Semant des résidus pointillés
Enrobés d’oxygène, de minéraux et de honte

Chaque mot frappe
Étranglant violemment
les brins entremêlés
De mes nerfs qui s’effritent
Vernis de crampes, de prières et de rage


Sur cette table
Les larmes ont coulé
sur cette table
Les oreilles se sont tendues pour entendre
le bourdonnement des ragots

Les langues ont été nouées de peur
La peau s’est craquelée
sous l’effet de querelles quotidiennes
Les os ont été privés
de nutriments quotidiens
Les yeux ont langui après cette douce caresse
Les poumons ont partagé des particules entêtées
Le sang a fouetté des organes vieillissants
Et pourtant,
Nous voici,
Nous tenant par le cœur


Le décompte
Combien de fruits avons-nous cueillis
Dans ce jardin mal aimé ?
Combien de traits avons-nous tracés
Dans l’âme ce bois ?
Combien de « je t’aime » avons-nous dits
Autour de cette table bancale ?
Combien de vin avons-nous bu
Pour tout engourdir ?
À combien de crises avons-nous remédié
Après avoir épuisé nos larmes ?
Combien de fleurs avons-nous coupées
Pour adoucir nos émotions ?
Ce sont souvent nos cœurs, n’est-ce pas,
Que nous recalibrons.


Sans regrets
Creuse un petit (trou)
Chuchote un secret bien gardé
Dans un souffle chaud et profond,
Referme le trou sans regrets.


Cette nuit où nous avons mangé
Te souviens-tu
De cette nuit où nous avons mangé
la plus délicieuse des grenades
Et nous imaginions
Que chaque arille était un corps
Empli de vie
Et à chaque explosion,
Nous imaginions un cri
Un craquement, une fin

Te souviens-tu
Nous parlions de manger
Sa chair tendre
Et d’écraser ses os fragiles
Chaque bouchée tombant
Au fond de l’abîme
De fluides acides
La dernière grenade soupira
Ah enfin, il y a une fin à tout cela

Traduction: Diane Van Hauwaert

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