22 — 26.05.2018

Léa Drouet Bruxelles

Boundary Games

performance — premiere

Théâtre Les Tanneurs

⧖ ±1h | € 16 / € 13 (-25/65+) | Meet the artist after the performance on 23/05

Jeune artiste bruxelloise, Léa Drouet compte aujourd’hui parmi les figures émergentes de la scène internationale. Son travail investit le champ de la performance, de l’installation et de la musique expérimentale pour proposer des expériences esthétiques – et électriques – qui mettent en jeu les dynamiques de groupe et ses (dis)harmonies. Après Derailment (2015) et Mais dans les lieux du péril croît aussi ce qui sauve (2016) qui tous deux prenaient d’assaut des lieux underground de Bruxelles, le Kunstenfestivaldesarts présente aujourd’hui sa nouvelle création. Avec Boundary Games Léa Drouet retourne au plateau qu’elle transforme en périmètre de jeu et d’expérimentation pour ses six performeurs. Tel un laboratoire social, la pièce teste les processus de fabrication et de dissolution des groupes. D’infinis (ré)agencements de corps, de sons et d’éléments scénographiques définissent de nouvelles règles sociales comme autant d’alternatives aux seuls principes d’inclusion et d’exclusion. Boundary Games fait voler en éclats la division binaire « nous/eux » à laquelle se réduit trop souvent notre rapport à l’autre. Elle ouvre un nouvel espace de négociation. Comment y circulerons-nous ?

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Boundary Games : les jeux du lien et de la déliaison, les jeux de lignes qui ne cessent de passer du tracé des frontières à la potentialité des traits d’union ; jeux qui dessinent une scène, à la fois étrange et familière, où esthétique et politique se rencontrent, se nourrissent, se déjouent… Il ne s’agit pas de ce que certains considèrent aujourd’hui comme un « retour de l’art politique » et qui tend bien souvent à n’être qu’un retour vers l’art idéologique où l’Artiste, expert génial, doit venir énoncer la vérité d’un monde dont il sait, mieux que quiconque, diagnostiquer la crise. Il s’agit à l’inverse d’habiter la crise, de s’installer là où la représentation tremble, ne peut s’achever en l’image d’un « nous » malade ou en santé et requiert, à l’inverse, la mise en présence de nos images manquantes, de ces lacunes et de ces trouées depuis lesquelles un trait d’imagination peut dessiner, timidement, un horizon vers lequel on tendrait différemment.  
 

Dans ce passage de l’imagerie à l’expérience, il n’y a pas de « crise des réfugiés » que l’Artiste engagé devrait venir dénoncer. Il n’y a que la mise en crise, vécue ensemble et par chacun, de nos représentations du « eux » et du « nous ». Il n’y a que le bouleversement de cette frontière-mur qui « nous » placerait du bon côté de la crise, et qui devient ici frontière-passage, le long de laquelle « je » me mets à trembler, « nous » nous mettons en crise et la faisons jouer dans sa capacité à dévoiler des identités que, pour vouloir voir assurées et assumées, on a fini par faire taire.
 

Ce que vient questionner l’artiste Léa Drouet dans cette pièce, ce ne sont pas les « politiques migratoires » telles qu’elles sont pratiquées par nos gouvernements contemporains, ce sont plutôt les potentialités politiques de nos subjectivités mouvantes, migrantes. Ce sont nos capacités ou incapacités à accueillir l’autre, à « nous » accueillir en tant qu’autres et, par-là, à renouer avec le sens et la sensibilité de la politique : la composition d’un commun qui ne pourra jamais être un comme Un. C’est bien cela qui s’éprouve à chaque instant de la performance. Qui s’éprouve  intimement plus qu’il ne serait démontré objectivement par la force d’un plateau et du pouvoir des acteurs. On passe sans cesse du pouvoir aux puissances ou à la reconnaissance sensible de, si ce ne sont pas nos impuissances, nos difficultés à « inclure » ce qui ne nous est pas familier, et à nous déplacer sur le terrain de l’autre. 
 

Ce ne sont pas des théories qui nous exposent ces tensions : ce sont des jeux, presqu’aussi simples (et profonds) que sont les jeux d’enfants. Des performeurs déambulent, déposent un certain type de matériau, un monde de couvertures devient notre monde, nous nous y installons, nous nous l’approprions sensiblement… ou nous en faisons peu à peu notre « propre » : ce qui nous est propre et ce qui rend toute différence impropre, anormale, dérangeante, intolérable… Des reliefs apparaissent, la matière reste  la même mais un motif nouveau, inconnu pénètre ce milieu installé et c’est tout un monde qui semble s’effondrer… l’hospitalité n’est pas si ancrée. « Nous ne savons pas ce que peut un corps », disait Spinoza et cela ne signifie pas seulement que nous mésestimons les puissances d’une sensibilité où, en réalité, nous pourrions trouver notre salut. Cela peut aussi signifier que nous ne savons pas à quel point nos corporéités, nos organicités ne supportent pas l’altérité, la matière autre, ce que « je » ne reconnais pas comme propre à moi, au même, à l’identique, ce dans quoi j’ai forgé mon identité. Non la rencontre n’est pas une dynamique innée entre individus, elle est ce que des singularités agissent et ce qui ne cesse de les agiter.

Avec la légèreté d’un jeu d’enfant, Léa Drouet nous met en prise avec la complexité de nos sensibilités. Elle nous fait expérimenter tout autant ce qu’il y a de conflictualité dans toute forme de relation, dans tout rapport avec l’hétérogène que, du même coup, ce qu’il y a de puissance et de chance dans la conflictualité assumée comme telle. Nous ne nous accorderons peut-être jamais, nous ne formerons jamais une parfaite unité mais, dans cette expérience dérangeante où nos mâchoires grincent et nos peaux se tendent au contact de l’inconnu, se tient peut-être l’horizon d’une transformation, d’une conversion, voire d’une révolution sensible depuis laquelle saurait naitre, à l’inverse de sa crise diagnostiquée, une politique de l’hospitalité.  
 

« Esthétique » signifie avant tout « pouvoir expérimenter ». En nous permettant d’éprouver ce qui « nous » constitue en « nous » destituant sans cesse, ce qui nous détache des identités établies et assignées en nous poussant sur la voie des devenirs multiples, des devenirs d’un « nous » fait de rapports avec du multiple, Boundary Games invente, sans prétention, sans manifeste, sans « cause » à défendre, une esthétique politique. Où peut-être devrait-on dire que la performance présente un point de vue neuf, inconnu et qui ne se théorise pas où l’esthétique devient condition d’une politique à venir. Celle sans laquelle « nous » ne nous survivrons pas, celle qui allie conflictualité et monde commun : politique de l’hospitalité, encore. Encore plus.  
 

Camille Louis, Philosophe et dramaturge de Boundary Games

De

Léa Drouet
 

Avec

Frédéric Bernier, Madeleine Fournier, Catherine Hershey, Simon Loiseau, Marion Menan & Bastien Mignot
 

Scénographie, costumes

Gaetan Rusquet
 

Travail sonore

Yann Leguay
 

Dramaturgie

Camille Louis
 

Entraînement hypnose

Marie Lisel
 

Assistante à la mise en scène

Laurie Bellanca
 

Lumières & régie générale

Grégory Rivoux
 

Chargée de production & diffusion

France Morin / AMA
 

Présentation

Kunstenfestivaldesarts, Théâtre Les Tanneurs
 

Production

Vaisseau
 

Coproduction

Kunstenfestivaldesarts, Théâtre Nanterre-Amandiers, Théâtre Les Tanneurs, Charleroi danse – Centre choréographique de la Fédération Wallonie- Bruxelles, La Coop asbl
 

Avec le soutien de

Actoral – Festival & Bureau d’accompagnement d’artistes, Fédération Wallonie-Bruxelles, Service du Théâtre, Shelterprod, Taxshelter.be, ING & Tax- Shelter du Gouvernement fédéral belge
 

Résidences

Kunstencentrum Buda, La Bellone

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