24.05, 25.05, 27 — 30.05, 01.06.2008

Toshiki Okada / chelfitsch Tokyo / Yokahama

Freetime

théâtre

Beursschouwburg

Japonais → NL, FR

Il fut une des révélations du Kunstenfestivaldesarts 07. En 2008, le festival coproduit sa nouvelle création. Toshiki Okada développe une forme dramatique où la tension entre naturalisme et abstraction traduit avec délicatesse les fragilités de la jeunesse japonaise. Ses textes sont construits comme une accumulation quasi cubiste de points de vue, de scénarios alternatifs. Ses personnages glissent d'un acteur à l'autre, et ceux-ci racontent autant qu'ils incarnent. Le langage verbal qu'ils déploient, très familier, parfois même à la limite de l'inarticulé, entre en dialogue avec le langage du corps, véritable chorégraphie de gestes quotidiens.Assise à une table de restaurant, une jeune femme couvre les pages d'un carnet. Une serveuse, lorsqu'elle s'aperçoit qu'il ne s'agit que de dessins incohérents, se prend à rêver les pensées qui pourraient correspondre à ces tracés-dérives. Une porte s'ouvre pour l'imagination. Dans une société tout entière tournée vers la productivité, une situation banale comme dernier retranchement de la liberté individuelle.

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Un entretien avec TOSHIKI OKADA le 16 février 2008 (au terme de la première répétition intégrale)

Question : Votre dernier projet, « Freetime », est une co-production internationale qui réunit des festivals à Bruxelles, Vienne et Paris. Quelles ont été les réactions à « Five Days in March » lors de votre tournée européenne l’an dernier ?

Okada : En premier lieu, je suis convaincu que dès les premiers moments de la pièce, même ceux qui ne comprennent pas le japonais percevront qu’il y a un décrochage entre les gestes et les discours des acteurs. Les deux évoluent clairement en roue divergente. L’étape suivante repose sur un mouvement réflexif de l’auditoire, du type « ces acteurs sur scène, de toute évidence, gesticulent en dépit du bon sens, mais à la réflexion, ne sont-ce pas les mouvements que jusqu’à un certain point nous accomplissons quotidiennement ? » Si le spectateur parvient à ce stade, je considère qu’une conception basique du spectacle lui est bien parvenue. L’an passé, quand la pièce a été montée à Paris et à Bruxelles, cet enjeu minimal a été grandement satisfait et nous avons été très bien accueillis, à moins que cela ait intégralement reposé sur la qualité des traductions et sur l’ouverture d’esprit et la bienveillance de l’auditoire. J’ignore comment cela se déroulerait pour des pièces autres que « Five Days in March », mais j’ai tendance à penser que rien n’est impossible – j’ai pu m’en aviser personnellement et les réactions furent très enthousiastes.

Question : Riche de ce succès, vous revenez à présent avec le très attendu « Free Time ». On m’a dit que vous avez commencé à y travailler en octobre de l’année passée.

Okada : C’est exact. Au commencement, j’ai donné à lire à plusieurs acteurs les fragments de texte que j’avais écrits. Nous avons mis cette formule à l’épreuve à Kitakyushu et l’avons ensuite amendée au vu du résultat, en portant l’attention sur le moindre détail. Si vous parvenez à mettre sur papier une trame serrée, un scénario qui court du début à la fin, alors cette trame servira jusqu’à un certain point de charpente pour l’ensemble. Mais je me suis engagé dans une voie opposée, l’écriture de fragments sans unité de structure.

Q. : Est-ce que cela est lié à un dessein central de votre production ?

Okada : Dans la mesure où les choses les plus intéressantes proviennent des répétitions, j’ai pris conscience que je voulais travailler avec une structure lâche. Si la structure est trop serrée, même de très peu, vous êtes susceptible de refouler des éléments extrêmement intéressants parce que la structure n’est pas propice à leur intégration. J’ai donc opté pour un texte dépourvu de toute structure. En travaillant dans cette voie, il faut cependant s’accorder un maximum de temps.

Q. : Le thème de votre travail est donc la « liberté ». Pouvez-vous nous dire ce qui vous a incité à choisir ce thème ?

Okada : Au fond, cela s’origine dans le fait que j’ai réalisé jusqu’ici de nombreux projets. J’ai choisi de poursuivre dans la lignée thématique de « Enjoy », de telle sorte que la liberté s’est imposée en qualité de motif. La réalisation l’an dernier de Cascando, la pièce de Beckett, a également constitué une expérience favorable. Je songeais par exemple à la « politique ». Quand vous parlez de politique, vous associez ce mot à une locution du type « Que pensez-vous de tel ou tel problème ? ». Cascando est une pièce qui a pour sujet le vécu de conscience de quelqu’un qui ne fait absolument rien – est-ce que cela n’est pas en un sens très politique ?

Q. : Est-ce que vous voulez dire que la vie d’une personne totalement inactive n’est pas nécessairement apolitique ?

Okada : Je dis que la passivité n’est pas apolitique. La passivité ne consiste pas à sortir de la politique et n’est pas plus périphérique que le fait d’être en activité. En d’autres termes, il est question de chacun d’entre nous traversant l’existence heure après heure – comment décider ou ne pas décider, comment avoir décidé ou demeurer indécis ? Dans la mesure où la politique influe en ce point, elle exerce une influence considérable sur chacun d’entre nous. Nous vivons à échelle planétaire dans une société surveillée. Le Capital s’insinue dans les recoins de notre existence et nous ne pouvons fuir nulle part. Les constats de ce type sont aujourd’hui légion. Par exemple, il est devenu difficile de goûter un moment de loisir sans être submergé par des annonces publicitaires. J’imagine les protestations, « laissez-nous respirer, cela ne s’apparente en rien à du loisir ou du temps libre ». Peut-être ont-ils raison. Mais en dépit de tout cela, je crois qu’il y a de la liberté dans cette vie. Il y a en moi une conviction résolue qui ne veut pas en démordre.

Q. : Il ne s’agit donc pas de savoir si on a la liberté ou pas ; il est plutôt question d’une gradation – de quelle quantité de liberté on dispose ou pas.

Okada : En effet. Quelqu’un pourrait émettre la critique suivante : « c’est le propre d’un mauvais perdant de tirer quelque satisfaction frelatée d’un ersatz de liberté à la seule fin d’être en mesure de supporter ce monde essentiellement servile, où la liberté est nulle et non avenue». C’est peut-être le cas, il m’arrive d’y songer, mais dans le même temps, je crois qu’il est tout à fait légitime d’appeler cela « liberté », je crois même que jusqu’à un certain point, il serait illégitime de ne pas le faire.

Q. : Koizumi Atsuhiro, membre du groupe Sangatsu, (March) dont la chanson avait été intégrée à «Five Days in March », est cette fois seul en charge de la musique.

Okada : J’ai beaucoup aimé son premier album, « March ». Depuis quelque temps déjà, je souhaitais vaguement aborder dans mon travail la guerre en Irak. N’ayant aucun titre à l’esprit, j’étais en train d’écouter la chanson « Five Days » de « March » et décidai de raconter l’histoire de quelqu’un qui passe cinq jours d’affilée dans un « love hotel » à partir du 21 mars, c’est à dire le début de la guerre en Irak. J’ai conservé le titre tel quel (rires).

Q : Je suis surprise d’apprendre que votre premier choix a porté sur la musique et que la pièce et le titre sont en quelque sorte des ajouts ultérieurs, d’autant que le dispositif de la pièce s’accordait parfaitement avec la chanson, que l’utilisation de la musique était dénuée de toute affectation.

Okada : J’étais vraiment touché par cette chanson de telle sorte qu’elle n’a posé aucun problème. Bien sûr, il est encore plus jouissif, comme cela se passe cette fois-ci, d’avoir pu associer Koizumi dès le départ et de travailler avec lui à mesure que la pièce s’élabore.

Q. : D’après vous, quelle fonction remplit la musique dans les productions de la compagnie Chelfitsch ?

Okada : Je crois en la nécessité et l’efficacité de la musique pour ce qui est de déployer un espace où les mots n’ont pas cours. De mon point de vue, il est ruineux de recourir à la musique lorsqu’une image cherche son épanouissement à travers la parole et la mobilité des acteurs. Cela revient à peu près à assaisonner vigoureusement un plat cuisiné qui est dores et déjà exquis. Un tel supplément musical revient purement et simplement à du gâchis. Je veux que les acteurs sur scène s’approprient l’espace de jeu à plusieurs niveaux et que la musique agisse par surcroît, dans une dimension qui lui est propre. Si l’incidence du son suscite une bouffée d’émotions par delà l’imagerie que développe le jeu des acteurs, alors vous ferez probablement l’expérience d’un enchantement ineffable.

Q. : Par ailleurs, une scénographie signée TORAFU est un superbe atout. Outre la reconstitution d’un restaurant familial, le dispositif semble solliciter une série de mouvements corporels intéressants de la part des acteurs.

Okada : Dans mon dialogue avec TORAFU, nous avons parlé des choses qui m’ont préoccupé dernièrement, par exemple comment dans la représentation théâtrale, quelle que soit votre approche de la mimesis (l’imitation de la réalité), vous ne parvenez jamais au bout du compte à une restitution parfaite d’un objet ; réciproquement, si vous vous efforcez de dénaturer cet objet et de prendre le plus sérieusement du monde le contre-pied de la mimesis, le résultat est tout aussi décevant. C’est dans le sillage de ces réflexions que nous avons abouti au dispositif qui est sous vos yeux. Ces types sont des génies (rires).

Q. : Jusqu’ici, vos projets ne comportaient pas réellement ce qu’on appelle « dispositif scénique ». De ce point de vue, ce projet tranche avec les précédents. Est-ce que cela reflète une évolution dans votre conception dramaturgique ?

Okada : Dans « Five Days in March », par exemple, il n’y avait pas de scénographie. C’était un plateau dépouillé où les acteurs s’avançaient et parlaient à tour de rôle, nourrissant un continuel on-dit. J’ai pensé que quelque chose de bien en résulterait. Mais « Free Time » se présente différemment. Bien qu’il y ait des tables et des chaises, jusqu’à cinquante centimètres du sol tout est gommé. Ce que nous avons, c’est une imitation imparfaite d’un restaurant familial, mais j’aime précisément cette perfection de l’imperfection. Nous avons mis sur pied un dispositif qui exclut toute identification spontanée avec les gens dans le restaurant. Cela contribue à l’honnêteté de la performance. C’est un dispositif réellement admirable.

Q. : Le dispositif feint ingénieusement un état de suspension dans les airs. Cela intensifie ce sentiment particulier qu’éveillent vos acteurs sur scène, dont le jeu n’est à proprement parler ni celui de personnages ni de narrateurs.

Okada : Lorsque nous nous livrons à une réflexion sérieuse au sujet de « Freetime », nous levons une série de questions telles que « Qu’est-ce que cela signifie pour un acteur de jouer un rôle ou de s’identifier à un personnage donné ? », ou « Comment quelqu’un assume-t-il un certain type d’impossibilité sur scène ? ». Vous savez, cela affranchit considérablement les acteurs lorsque dès l’abord, ils n’entretiennent plus la moindre illusion sur la possibilité d’incarner leurs personnages à la perfection. C’est très libérateur, même si ce genre de liberté est parfois très contraignante pour les acteurs.

Q. : Votre méthode semble plaider pour une inclusion de la voie ouverte par Stanislavski, où l’action est vécue, dans la voie didactique de Brecht, où l’action est racontée. A moins que vous vous acheminiez vers une synthèse dialectique qui subsume ces deux voies prétendument antagoniques.

Okada : En effet, je suis porté à croire que c’est tout à fait possible. Je n’ignore pas la différence entre dire qu’on fait quelque chose et le faire pour de bon. Je reconnais au passage que je demande beaucoup des acteurs. Mais, vous savez, la nature de la représentation est une question primordiale pour un dramaturge. Si vous êtes parvenu à élucider cela jusqu’au bout, vous êtes à peu près assuré d’avoir résolu l’énigme du théâtre en tant que tel. Pour l’heure, écrire et réaliser cette pièce me plonge dans l’euphorie, précisément parce que cela me donne l’opportunité de dévisager cette énigme de front.
 

Texte, concept & mise en scène
Toshiki Okada

Avec
Tomomitsu Adachi, Mari Ando, Saho Ito, Kei Nanba, Taichi Yamagata, Luchino Yamazaki

Création Décor
Torafu Architects Inc.

Musique
Atsuhiro Koizumi

Création lumière
Tomomi Ohira

Création sonore
Norimasa Ushikawa

Présentation
Beursschouwburg, Kunstenfestivaldesarts

Production
Chelfitsch

Coproduction
Wiener Festwochen, Festival d’Automne à Paris, Kunstenfestivaldesarts

Avec le soutien de
Japan Arts Fund & The Saison Foundation

Remerciements à
Yokohama Arts Platform, Steep Slope Studio, Kitakyushu Performing Arts Center, Super Deluxe

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