05 — 08.05.2017

Marlene Monteiro Freitas Lisbonne

Bacantes – Prelúdio para uma Purga

danse — premiere

Les Halles de Schaerbeek

⧖ 2h30 | € 18 / € 14

Parmi les toutes grandes révélations de la scène chorégraphique internationale, Marlene Monteiro Freitas fascine par son langage d’une vitalité débordante, son imagerie forte et la richesse de ses références. Dans ses œuvres marquées par l’excès et l’expressivité, des éléments hétérogènes, inquiétants ou drôles, sont agencés avec une créativité sans limites comme les pièces d’une machine spectaculaire à produire des sensations. Sa nouvelle création, coproduite par le Kunstenfestivaldesarts, est aussi sa plus ambitieuse. En partant des Bacchantes d’Euripide, douze danseurs et musiciens se mesurent à la tragédie grecque – qui est pour Nietzsche, convoqué ici, l’illustration même de la fonction métaphysique de l’art. Les Bacantes de Marlene Monteiro Freitas sont une guerre entre l’apollinien et le dionysiaque, la raison et l’intuition, la forme et la dissolution de la forme, l’individuation et l’oubli de soi. Elles sont aussi une interrogation sur l’art, sur la vie et sur l’art comme affirmation de la vie.

À voir aussi

Beyond the Codes

read more

La signification des fictions

Une interview de Marlene Monteiro Freitas

Vous êtes née au Cap-Vert où vous avez commencé à danser dès votre plus jeune âge. Quelle formation aviez-vous à cette époque ? Vous souvenez-vous de quelque chose qui a fait une forte impression sur vous à ce moment ?

J’ai commencé à danser avec des amis lorsque j’étais jeune. À l’âge de quatorze ans, nous avons décidé de monter quelques spectacles. Nous avons choisi un nom pour notre groupe, Compass, et avons donné des spectacles dans des cinémas ou à l’extérieur, explorant toutes sortes de musiques et de danse. Notre curiosité était très éclectique ; du film Jésus-Christ Superstar à des clips de hip-hop, des images de samba, de salsa et de danses capverdiennes… On regardait des vidéos et des magazines et on dessinait et confectionnait nous-mêmes nos costumes. On apprenait des styles de danse qu’on ne connaissait pas vraiment et on proposait nos propres idées. Et puis, il y a eu un événement important : Clara Andermatt, une chorégraphe portugaise est venue effectuer une résidence au Cap-Vert. Elle a donné un atelier où j’ai pu suivre quelques cours et elle a présenté une de ses chorégraphies qui était alors en plein processus de création. Je me rappelle avoir été totalement remuée par cette pièce, je me sentais comme un sac d’os ayant été complètement secoué. C’est à ce moment-là que j’ai dû me dire que, peut-être, je pourrais faire la même chose.

À dix-huit ans, vous quittez le Cap-Vert pour aller étudier à Lisbonne.

Dans le cadre du programme de ma bourse, j’ai suivi une formation physique et sportive dans une université où il y avait un département de danse, mais je me suis tout de suite rendu compte que les cours de danse dans cette école n’étaient pas ce que je recherchais. J’ai terminé la première année afin de pouvoir garder la bourse et je me suis inscrite à l’école supérieure de danse à Lisbonne.

À l’époque, il y avait déjà une scène chorégraphique bien établie à Lisbonne, avec des artistes comme Vera Mantero, João Fiadeiro, Clara Andermatt, Paulo Ribeiro et Francisco Camacho… Aviez-vous des contacts avec ces danseurs et chorégraphes ?

Pas vraiment, non. J’ai seulement commencé à avoir des contacts avec eux, et en particulier avec Clara Andermatt et Francisco Camacho, lorsqu’ils ont été invités à l’école. Je me rappelle avoir vu une pièce de Francisco Camacho, GUST, qui m’a fait une grande impression. Sur ce, j’ai travaillé pour lui, j’ai remplacé une de ses performeuses dans un spectacle. Mais j’avais des contacts avec un chorégraphe cap-verdien que je connaissais déjà, António Tavares.

Après l’école de danse à Lisbonne, vous avez continué votre formation à P.A.R.T.S. entre 2002 et 2004. Qu’est-ce qui vous a amenée à P.A.R.T.S. et maintenant, environ dix ans plus tard, quel souvenir en gardez-vous ?

Ce qui m’a amené à P.A.R.T.S. ? Une combinaison de chance et de désir de vivre dans une autre ville européenne. Je voulais avoir une meilleure compréhension de ce que peut être une formation de haute qualité en danse contemporaine, mais il était clair pour moi que P.A.R.T.S. n’était pas une école au sens classique du terme. En tout cas, je n’ai jamais pensé qu’il fallait tout attendre d’une école. L’école est un lieu de transition, un passage dont il faut tirer avantage autant que possible. C’est un lieu où on est confronté à différentes esthétiques. Avoir été à P.A.R.T.S. m’a donné des outils de travail très importants et des idées pour mes compositions… C’était un lieu où recueillir de l’information pour qu’autre chose puisse émerger. Ce que je ne savais pas, c’est que c’était à moi d’entreprendre ce travail.

Après P.A.R.T.S., vous avez travaillé pour différents chorégraphes d’univers assez différents : en France avec Loïc Touzé, Boris Charmatz et Emmanuelle Huynh et au Portugal avec Tânia Carvalho…

Après avoir quitté P.A.R.T.S., j’ai passé quelques auditions au Portugal, mais on ne m’a rien proposé. Finalement, j’ai remplacé un danseur dans la Compagnie de Danse contemporaine d’Angola lors d’une tournée en Inde. Après j’ai remplacé un autre danseur dans un spectacle de Tânia Carvalho sans vraiment savoir ce que j’allais faire par la suite. Puis, j’ai suivi un cours de chorégraphie à la Fondation Gulbenkian, une formation à laquelle Loïc Touzé était associé. J’étais très intimidée, nous avons à peine parlé, mais par la suite Loïc Touzé m’a invitée à réaliser un projet avec lui. Au début, je ne comprenais pas très bien, sa vision des choses et sa manière de les aborder étaient différentes de ce que j’avais connu jusque-là. Sans aucun doute, c’était la première fois que j’ai pris conscience qu’il y avait une sorte de point commun dans cette idée de la danse contemporaine en Europe, mais qu’elle pouvait être exprimée de façon très différente selon le pays ou l’école… Tous les chorégraphes avec lesquels j’ai travaillé m’ont profondément influencée. Même lorsque j’ai pu me sentir très éloignée de certaines personnes ou de certaines situations, il me semble que quand il y a « sympathie » ou « antipathie », des images et des idées émergent.

En 2011, vous avez créé (M)imosa, qui est le fruit d’une collaboration chorégraphique entre vous, Trajal Harrell, Cecilia Bengolea et François Chaignaud, inspirée de la culture new-yorkaise du voguing. C’est une pièce assez étonnante où ce qui vous distingue les uns des autres coexiste très intensément. Quel était en amont le processus créatif qui a généré cela ?

Il était très clair dès le début du projet que nous serions tous les quatre co-auteurs. Si nous avons emprunté le même chemin vers l’idée du projet, chacun avait toutefois sa vision et sa propre manière de travailler. Chacun de nous avait des propositions et tentait d’entraîner les autres dans cette direction. Puis, nous avons compris que la pièce devait vraiment ressembler à un animal quadricéphale sans qu’aucun de nous ne « fasse de la place » aux autres (je n’aime vraiment pas l’idée de tenter de faire de la place…). Au contraire, nous voulions permettre l’émergence d’une confiance mutuelle. Il s’agissait de pouvoir se produire avec une certaine liberté, chacun à sa manière, et cela nous a menés à intensifier chacune des quatre propositions très différentes.

Pourquoi n’aimez-vous pas l’idée de « faire de la place » ?

J’ai du mal avec le spectacle de la générosité. Cette idée de « créer de l’espace pour l’autre » a un côté moral, un rythme qui me dérange un peu. Dans mon travail, je préfère l’idée de fiction. C’est beaucoup plus incertain sur le plan rythmique, plus libre. Comme dans les rêves où, malgré nous, les images, les gestes, les attitudes et leur organisation nous échappent.

Quand cette idée de fiction a-t-elle vraiment commencé à se faire sentir ?

Je pense que cela vient d’une pièce intitulée A Seriedade do Animal [Le sérieux de l’animal] que j’ai créée en 2009-2010, et qui s’inspire d’un texte de Bertolt Brecht intitulé Baal. Même si nous ne disions pas les mots, nous avons suivi la structure de la pièce du début à la fin et le rythme du spectacle venait d’une certaine idée de son caractère oral. Mais c’est avec Guintche (un solo créé en 2010) que j’ai vraiment dû commencer à formuler cette notion de fiction. On m’a posé beaucoup de questions lorsque je dansais Guintche, et des amis proches m’ont dit que j’étais très différente, qu’ils ne m’avaient pas reconnue… Mais en fait, sans lui avoir donné de nom à ce moment-là, cette idée d’échafauder des fictions était déjà présente. Guintche combine un travail sur le mouvement avec une base rythmique très soutenue et une construction de personnage (peut-être cette « fiction » dont vous parlez).

À quoi avez-vous donné la priorité quand vous développiez ce solo : le mouvement ou le personnage ?

Je préfère parler de « figure ». Un personnage fait appel à un certain contextealors qu’une figure peut imaginer son contexte. J’aime les situations,pas les histoires ou la narration. Un peintre comme Francis Bacontravaille sur la figure et la situation, pas sur la narration. Il disait : « Aumoment où l’histoire surgit, l’ennui s’empare de vous. » C’est pareil pourmoi. Je ne me suis jamais préoccupée de cette question d’abstraction etde narration, qui est très présente dans la danse. C’est peut-être pourcette raison que je cherche mon inspiration au-delà de la danse. Celam’ouvre à d’autres idées, d’autres images que celles qu’on partage dansla danse et qu’on appelle « abstraction » ou « expressionnisme ». Vousm’avez demandé comment j’entame une création : avec beaucoup dechoses à la fois. Des images qui me viennent sans que je sache vraimentpourquoi, néanmoins j’en tiens compte. C’est toujours un peu chaotiqueet un peu méthodique ; j’ai une idée de la direction à prendre, je sais quela musique va intervenir d’une façon particulière… Et puis, au studio,un certain nombre de transformations se produisent.

Ne ressentez-vous pas le besoin de vous positionner parmi les chorégraphes contemporains, de vous laisser influencer par une tendance particulière ?

Non. J’aime aller voir des spectacles, j’adore ce que font bon nombre d’artistes, mais cela m’inquiéterait que nous soyons tous semblables, de nous voir jouer ou créer de la même façon. Il existe une diversité de routes à emprunter dans la création de la danse, mais il y a aussi le théâtre, le cinéma, la musique, les arts, l’Internet, YouTube, les pensées… Se limiter à la danse ou la confiner à des concepts restrictifs tels que le post-colonialisme, le féminisme, etc., ce n’est pas ma manière de travailler, de penser ou de vivre. La danse contemporaine échappe aux cadres, parfois les gens cherchent à la « saisir », comme s’il fallait calmer les secousses qu’un spectacle peut provoquer…

Vous avez un penchant pour les hybrides et les métamorphoses. D’où cela provient-il ?

Je ne sais vraiment pas. En fait, l’hybride n’est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen d’atteindre une certaine intensification de la forme. L’organisation de choses très diverses, voire contradictoires, produit de l’émotion. Dans les pièces, il y a souvent des images en train de devenir autre chose. Cela a à voir avec la fiction, avec la transformation. Des idées et des images très simples constituent souvent le point de départ, mais nous y travaillons intensément pour en faire ressortir quelque chose de fort. À la fin, cela donne quelque chose qui est toujours reconnaissable, dans lequel on peut identifier un point de départ, mais peut-être aussi observer un profond changement. Telle est la force motrice derrière le travail. On pourrait dire que la métamorphose a un aspect transgressif, mais ce n’est pas la transgression en soi qui m’intéresse, c’est plutôt une manière d’atteindre un certain trop-plein.

Jean-Marc Adolphe

Une version complète de cette interview a été publiée dans P.A.R.T.S: 20 years – 50 portraits (2016)

Chorégraphie

Marlene Monteiro Freitas

Avec

Andreas Merk, Betty Tchomanga, Cookie, Cláudio Silva, Flora Détraz, Gonçalo Marques, Guillaume Gardey de Soos, Johannes Krieger, Lander Patrick, Marlene Monteiro Freitas, Miguel Filipe, Tomás Moital, Yaw Tembe

Lumières & scénographie

Yannick Fouassier

Sons

Tiago Cerqueira

Tabourets

João Francisco Figueira, Miguel Figueira

Remerciements

Cristina Neves, Alain Micas,Bruno Coelho, Christophe Jullian, Louis Le Risbé, Manu Protopopoff, ACCCA – Companhia Clara Andermatt (Lisbonne), ESMAE (Lisbonne), ESTC (Lisbonne)

Présentation

Kunstenfestivaldesarts, Halles de Schaerbeek

Production

P.OR.K (Lisbonne)

Distribution

Key Performance (Stockholm)

Coproduction

Kunstenfestivaldesarts, TNDMII (Lisbonne), steirischer herbst festival (Graz), Alkantara (Lisbonne), NorrlandsOperan (Umeå), Festival Montpellier Danse 2017, Bonlieu – Scène nationale d’Annecy & La Bâtie-Festival de Genève dans le cadre de FEDER – programme Interreg France-Suisse 2014-2020, Teatro Municipal do Porto, Le Cuvier-Centre de Développement Chorégraphique (Nouvelle-Aquitaine), HAU Hebbel am Ufer (Berlin), International Summer Festival Kampnagel (Hambourg), Athens and Epidaurus Festival, Münchner Kammerspiele, Kurtheater Baden, SPRING Performing Arts Festival (Utrecht), Zürcher Theater Spektakel (Zurich), Nouveau Théâtre de Montreuil – centre dramatique national, Les Spectacles Vivants/Centre Pompidou (Paris)
 

Soutien résidences

O Espaço do Tempo (Montemor-o-Novo), Montpellier Danse à l´Agora, Cité internationale de la danse, ICI-centre chorégraphique national Montpellier – Occitanie/Pyrénées – Méditerranée/Direction Christian Rizzo – dans le cadre du programme de résidence Par/ICI
 

Projet coproduit par

NXTSTP, avec le soutien du Programme Culture de l’Union européenne

website by lvh